« Traduire, c’est se vouer au travail le plus ingrat et le moins estimé qui fut oncques. » Cette affirmation de Chateaubriand a 250 ans. Pourtant, elle n’a rarement sonné plus juste qu’aujourd’hui, auprès des auteurs de sous-titres et de doublage.

À force d’être déconsidéré, ce n’est pas étonnant que le fameux traduttore, traditore (« traducteur, traître ») soit de nature un être solitaire, pointilleux et perfectionniste, un artisan qui évolue dans un monde quasi parallèle où le droit du Travail ne s’applique pas à tous, où l’affect peut prendre le pas sur le professionnalisme et où la règle absolue est que, pour être réussi, notre travail doit être avant tout invisible. Notre semaine ouvrée compte sept jours de vingt-quatre heures, nos tarifs (comme on appelle les primes de commande) ne peuvent qu’être « préconisés » sans aucune obligation d’application, il n’y a pas d’heures supplémentaires, pas de prime, pas de fidélité. Nos commanditaires ne sont pas toujours les payeurs ni les bénéficiaires de notre travail, ils connaissent parfois à peine les programmes que nous adaptons pour eux. Et le téléspectateur, là-dedans ? Il n’est pas consulté sur la qualité de ce qu’il regarde.

Ces vingt-cinq dernières années, nos rémunérations effectives ont baissé de façon drastique. En moyenne, un sous-titrage pour la télévision rémunéré 800 € en 2000 est à 600 € aujourd’hui. Avec l’inflation, il aurait dû passer à 1 000 €. Aucun salarié n’imaginerait voir sa rémunération baisser d’une année sur l’autre pour un travail identique. En acquérant un savoir-faire, on devrait être payé davantage. C’est ce qui se pratique dans tous les métiers. Maintenant, imaginez qu’on demande à un salarié de fournir des listes interminables de termes, des résumés, des bandes-annonces, ou encore de passer des heures à conformer son travail à de nouvelles vidéos parce qu’on lui a livré des versions non définitives des programmes… le tout en dehors de ses heures de travail, de préférence en urgence et gratuitement. « Les plateformes l’exigent, mais on n’a pas de budget. » Sa réponse serait un « Non » catégorique.

En comparaison, les comédiens et directeurs artistiques, dont la situation professionnelle ressemble à la nôtre,

ont réussi à tirer leur épingle du jeu. Si le budget d’une série diminue, on taille dans le poste traduction-adaptation, mais pas dans celui des comédiens. Pourquoi ? Parce qu’ils ont accepté et fait accepter qu’artiste, c’est aussi un métier. Et parce qu’ils ont compris que l’effort devait être commun et individuel à la fois. Ils ont fait bloc jusqu’à obtenir une convention collective avec des grilles tarifaires que les commanditaires doivent appliquer. Aucun n’aurait l’idée de les remettre en cause. Nous vivons dans un pays de droits sociaux, où on peut manifester pour l’amélioration de notre niveau de vie et où les accords professionnels existent. Les auteurs n’ont aucune raison de se trouver dans la précarité. Il faut suivre l’exemple des comédiens, car l’union fait la force. On en a chaque jour la preuve. Il faut aussi que nous soyons reconnus comme exerçant un métier à part entière, régi par des droits et des devoirs.

La Commission européenne reconnaît le droit à la négociation collective des travailleurs indépendants. Il faudrait maintenant que ce droit s’étende aux auteurs et soit appliqué chez nous. Une charte des bons usages a été signée en 2011 par l’Ataa, l’Upad et le Snac avec des laboratoires de post-production et des diffuseurs, sous l’égide du CNC, mais les discussions ont été interrompues par manque de volonté politique. D’ici à ce qu’un cadre juridique contraignant voie le jour, l’auteur solitaire a besoin de devenir solidaire et de se rappeler que le dialogue est toujours possible avec les commanditaires. Peut-être nous manque-t-il seulement une formation à la négociation ? Les pratiques ne peuvent évoluer que si chacun y met du sien. Sinon, un jour, nous serons remplacés par des machines. Pas parce qu’elles sauront faire notre travail aussi bien que nous, mais parce qu’elles ne coûteront rien. Qui y gagnera ? Certainement pas le téléspectateur.

 

Cette tribune a été publiée dans le Bulletin des Auteurs n° 144,  en février 2021.

Photographies –

Vanessa Azoulay – Crédit : Christophe Pousin

Sabine de Andria – crédit : Rémi Poulverel

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