Avec l’apparition du Webtoon en France, la BD est potentiellement au tournant d’un bouleversement créatif et éditorial majeur. Si l’attrait des jeunes auteurs et les possibilités créatives existent, qu’en est-il de la place des auteurs dans ce nouveau modèle, et d’ailleurs quel est ce nouveau modèle ? Quels contrats sont proposés aux auteurs ? Là aussi les évolutions semblent rapides.

Bulletin des Auteurs – Que proposent les contrats Webtoon en France ?

Marc-Antoine Boidin – Nous sommes dans l’effervescence de ces nouveaux contrats. Quasiment tous les éditeurs traditionnels BD papier se mettent à produire du Webtoon, commencent à investir dans des plateformes de diffusion et proposent à de jeunes auteurs des contrats pour créer du Webtoon. Le contrat Webtoon est donc d’abord un contrat numérique, qui peut envisager, dans le même contrat mais en exploitation secondaire, une édition papier si la version numérique a rencontré le succès.

À la suite de Naver un deuxième groupe coréen est arrivé en France, Kakao Webtoon.

Un public existe déjà en France envers les webtoons coréens traduits en français.

Naver propose d’ores et déjà des contrats français, afin de créer des webtoons à destination du public français. Il est difficile de mesurer l’audience internationale de ces webtoons français. Naver s’est très vite adapté au droit d’auteur français, et demande, dans ses contrats français, tous les droits pour la durée de la propriété intellectuelle. Si le webtoon rencontre le succès, Naver peut céder à un éditeur français le droit de l’édition papier. Mais ce domaine est en constante évolution. Les contrats ne sont pas tous identiques. Ils peuvent être différents selon la notoriété de l’auteur, ou le moment où ils ont été signés. Les contrats Naver comportent, de plus, une clause de confidentialité, qui interdit à l’auteur de communiquer les termes de son contrat, ce qui entrave notre information.

Une difficulté est à prendre en compte, celle du risque de burn-out, car l’auteur doit travailler sept jours sur sept pour tenir le rythme des 50 chapitres par an. Rutile et Diane Truc, autrices de Colossale, ont pu en témoigner lors de leur masterclass au festival d’Angoulême en 2021. Rutile et Diane Truc ont pu conserver leurs droits papier, et vont publier leur œuvre chez un éditeur papier traditionnel, mais le type de contrat qu’elles ont pu négocier est hélas en voie de disparition.

Les contrats Webtoon proposés par les maisons d’édition françaises peuvent également être très différents selon les maisons et ils évoluent rapidement aussi.

B. A. – Le Webtoon est-il facile à publier en papier ?

M.A. B. – Le passage vers une édition papier nécessite un travail de mise en forme. Le webtoon est un ruban qui défile. Ce n’est pas la même logique que des pages que l’on tourne. Ce n’est pas la même manière de raconter. En webtoon on peut avoir des bulles sans dessin, quand par exemple on descend dans les pensées d’un personnage. Une édition papier demanderait sans doute d’ajouter des cases dessinées.

B. A. – Comment sont calculés les droits d’auteur dans une diffusion Webtoon ?

M.A. B. – Dans le système Naver, les premiers chapitres sont offerts au lecteur, qui doit ensuite s’abonner à la plateforme. Le lecteur achète une sorte de monnaie virtuelle, un peu comme dans le jeu vidéo, et il distribue tant de jetons pour avoir accès à tant de chapitres.

Un des problèmes est qu’il est difficile de créer un webtoon à plusieurs comme un scénariste, un dessinateur, un coloriste s’allient pour créer une bande dessinée traditionnelle, à cause du rythme à soutenir, d’un chapitre par semaine. Soit il faudrait plus de co-auteurs, auquel cas chacun serait auteur et toucherait un pourcentage des avances, des droits d’auteur, ce qui paupériserait encore un peu plus le métier, soit il faudrait industrialiser le processus, se rapprocher de la logique du dessin animé, où chacun serait assigné à une tâche particulière, mais en tant que technicien, et où seul serait auteur celui qui créerait le concept. C’est un peu le principe de l’atelier qui assiste le mangaka. Une telle organisation poserait la question du budget, peu comparable à celui d’un dessin animé.

B. A. – Pourquoi le Webtoon est-il attractif ?

M.A. B. – Le Webtoon est conçu pour être lu sur un Smartphone, ce qui lui assure une grande accessibilité. Ce mode de création a su utiliser le potentiel du numérique et créer un nouveau public, qui n’est pas celui qui lit des bandes dessinées traditionnelles, et pas forcément celui qui lit des mangas. Notre offre culturelle est aujourd’hui un bouillon de culture, qui provient de tous les pays. Les auteurs sont influencés par toutes ces nouvelles formes, dont ils ont été les lecteurs.

Rutile et Diane Truc observent qu’elles ont choisi d’écrire pour le Webtoon parce qu’elles ne trouvaient pas dans la Bande dessinée ce qu’elles cherchaient. Elles constataient que la Bande dessinée oubliait le public féminin jeune. Beaucoup de jeunes femmes sont lectrices de webtoons parce qu’elles y trouvent des thèmes, des visions qui leur sont propres. Heureusement sur ce plan la Bande dessinée évolue aujourd’hui, grâce aux nombreuses autrices et éditrices qui apparaissent.

 

Crédit de la photo : Eric Desaunois.

Cet entretien est paru dans le Bulletin des Auteurs n° 152 (Janvier 2023)

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