Bulletin des Auteurs – Quelles stratégies le compositeur de musiques à l’image peut-il adopter face à ses partenaires ?
Joshua Darche – Première solution : vous décidez de ne pas vous occuper de l’exploitation de vos œuvres, auquel cas vous travaillez avec un éditeur. Vous cédez à cet éditeur une part de vos droits, c’est-à-dire 50 % des droits de reproduction mécanique, dits « DRM », perçus sur la reproduction d’enregistrements sur CD, vinyles, autres supports et partiellement sur les diffusions, et 4/12èmes des droits d’exécution publique, dits « DEP », qui ont trait à la diffusion radio et TV, aux concerts, aux lieux sonorisés. En contrepartie l’éditeur doit assurer l’exploitation permanente et suivie des œuvres dont il a la part éditoriale, dans le cadre du programme où ces œuvres sont inscrites puis, à terme, sortir les œuvres de ce programme pour qu’elles continuent à être exploitées. L’éditeur doit également vous adresser une reddition des comptes, annuelle ou semestrielle.
Deuxième possibilité : vous souhaitez conserver l’intégralité de vos droits, c’est-à-dire 100 % des DRM et 12/12èmes des DEP. Vous conservez alors votre propre part éditoriale, que vous ne cédez pas.
Troisième voie : vous avez votre propre société d’édition. Vous êtes une personne morale et non plus physique. Il est plus facile de traiter d’une société à une autre que d’un individu à une société, c’est un volant de négociation.
B.A. – Quel est l’intérêt du compositeur ?
J.D. – Si son activité génère un minimum de droits, et si la négociation ne le rebute pas, son intérêt est de monter une structure, SARL, SAS, EURL, etc., peu importe, afin d’avoir cette capacité de négocier, non en son nom propre, mais au nom de son entreprise. Il y a une dualité qui fait que lorsque je négocie, je ne suis pas le compositeur. Je ne prends pas mal un refus, parce que le refus est adressé à l’entreprise, et ne remet pas en cause mon travail de création. Nous sommes dans un processus de création artisanale, mais nos partenaires sont dans une industrie. De plus en plus de sociétés de production, sans proposer ni aide en industrie ni financement, essaient de s’approprier la part éditoriale. C’est de l’édition coercitive. Vous avez la possibilité, de société à société, de négocier avec le producteur qui voudra saisir cette part éditoriale. Vous pouvez lui opposer qu’elle est déjà réservée par votre société mais, suivant l’apport en industrie ou le financement qu’il est prêt à apporter, vous pouvez négocier avec lui une coédition. Dès lors, je peux accepter une coédition préservant ainsi 25 % de mes DRM, et la moitié des 4/12èmes de mes DEP sur la part éditoriale.
L’édition coercitive ne se souciera pas d’une exploitation permanente et suivie. Si vous êtes contraint de céder votre part éditoriale, vous pouvez tenter de limiter cette cession dans le temps, dans le cadre d’une seule exploitation.
Cependant, vous n’êtes pas obligé d’être à chaque fois compositeur et éditeur. Si vous travaillez sur un gros projet, où la société de production est éditrice mais vertueuse, si elle vous alloue une prime de commande et un budget conséquent pour la fabrication de la musique, et si elle assure une exploitation permanente et suivie, vous pouvez très bien envisager une cession de vos droits.
Le but n’est pas de conserver pour conserver, mais de conserver face à des gens qui n’en feront rien.
B. A. – De quelle nature sont vos revenus ?
J. D. – Dans mon cas personnel, j’ai monté une société de production et d’édition musicale, en SARL. En tant que compositeur, personne physique, je conserve mes droits d’auteur, répartis par la Sacem, 50 % des DRM, 8/12èmes des DEP. La structure, elle, perçoit les droits, également répartis par la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), qui reviennent à l’éditeur : 50 % des DRM, 4/12èmes des DEP. En tant qu’actionnaire de cette SARL, je puis percevoir une part de ces droits sous forme de dividendes et employer une autre part à investir dans du matériel, selon mon choix, puisque je suis actionnaire majoritaire et gérant de mon entreprise. Nous autres, compositeurs de musiques à l’image, sommes également producteurs de notre musique. La chaîne ancienne de compétences : arrangeur, réalisateur, ingénieur du son, n’existe plus. Nous en assumons tous les postes. Notre matériel est de plus en plus conséquent et performant.
B. A. – Ce choix de créer une structure est-il difficile à imposer ?
J. D. – Pas mal de producteurs m’ont dit : « C’est beaucoup plus facile pour nous, de négocier ainsi, de société à société. » Parce qu’on parle le même langage.
Nous sommes dans des métiers où l’on a beaucoup de mal à dire non. Il faut apprendre à dire « Non » et en même temps être souple. On peut dire « Non » sans être « blacklisté ».
Lorsqu’il y a une résistance, souvent elle se résout par la négociation. La subdivision des DEP, qui constituent la part la plus importante des droits, se base sur 12/12èmes. 8/12èmes pour le compositeur, 4/12èmes pour l’éditeur. Si vous cédez la moitié de votre édition, vous serez à 10/12èmes et votre coéditeur percevra 2/12èmes.
Vous avez heureusement beaucoup de producteurs vertueux qui ne vous demandent pas la part éditoriale parce qu’ils estiment, à juste titre, que ce n’est pas de leur compétence et qu’ils ne sauront pas comment réutiliser la musique qui a été créée pour le programme.
Nous avons aussi affaire, de plus en plus, à des diffuseurs qui ont créé une structure d’édition et qui estiment que puisque le programme est diffusé sur leur antenne et que ce programme a été coproduit par le producteur et le diffuseur, de facto, tout ou partie de l’édition musicale leur appartient. Si le producteur édite, le diffuseur va lui demander une coédition. Si le producteur n’édite pas et que vous avez votre propre structure, vous pouvez être amené à accepter une coédition avec le diffuseur. Mais le diffuseur peut aussi demander une part éditoriale sans avoir participé à la production. Ce phénomène s’observe surtout dans le domaine du film documentaire. Le CNC, en effet, alloue une aide à la création de la musique originale. Cette aide, souvent, correspond au budget de la musique. Ainsi, ni le producteur ni le diffuseur ne financent cette musique, ce qui ne les empêchent pas d’exiger, parfois, une part éditoriale.
B. A. – Être son propre éditeur est-il complexe ?
J. D. – Vous pouvez gérer tout seul votre structure. Cela entraîne peu de frais et vous prend peu de temps. Suivre les diffusions n’est pas compliqué : il suffit d’en faire la demande auprès des chaînes, qui vous adressent le plan de diffusion global. Si vous êtes éditeur, c’est là une obligation d’information de la part des chaînes. Les exploitations étrangères significatives se limitent à l’Europe, le Japon, l’Australie, etc. Bref, les pays où le droit d’auteur est appliqué.
Sur le plan du droit moral, si vous n’avez plus le contrôle de vos droits, vous pouvez retrouver la musique que vous avez créée pour un film romantique accolée à un film classé X ou à un programme qui n’est pas adapté.
Il est vraiment intéressant de contrôler sa propre production musicale et, le cas échéant, de pouvoir ré-exploiter ses œuvres, partiellement ou en intégralité, dans d’autres programmes sans être dans l’obligation d’en demander l’autorisation.
Cet entretien est paru dans le Bulletin des Auteurs n°131 (novembre 2017)
Crédit de la photo de Joshua Darche : Philippe Jeandel.