Bulletin des Auteurs – Quel a été le chemin pour que l’audiodescripteur soit reconnu comme un auteur ?
Laurent Mantel – L’Agessa a toujours considéré la rémunération perçue par les audiodescripteurs comme des droits d’auteur. Au début, nous étions nommés « traducteurs d’images ». Le Snac nous a ensuite acceptés comme membres du syndicat. Notre statut d’auteur a été conforté par le rapport fait par le ministère de la Culture, rédigé par Hélène de Montluc, en mai 2012. Ce rapport a confirmé que nous sommes des auteurs qui écrivent un texte original à partir d’une œuvre existante.
Héloïse Chouraki – Mais nous n’avons toujours pas obtenu d’être intégrés dans une société de gestion qui accepte de gérer nos droits de suite : nous ne touchons rien quand nos textes sont rediffusés.


B. A.
– Une charte est en train d’être écrite.
H. Ch. – Le CSA nous a proposé de construire une nouvelle charte, qui soit le fruit d’une discussion et d’un accord entre les différents auteurs, afin que l’on puisse juger de la qualité d’une audiodescription.
L. M. – En 2008 l’adoption des quotas a rendu obligatoire la diffusion, à la télévision, sur les chaînes principales, publiques ou privées, d’œuvres audiodécrites, films, séries, documentaires, dessins animés, pour se conformer à la loi de 2005, qui prévoit l’accessibilité des biens culturels. Le volume a explosé, mais la qualité s’est effondrée.
H. Ch. – Les conditions de travail se sont dégradées, tant sur le plan des tarifs que des délais, souvent par méconnaissance de notre métier. C’est un métier à la fois créatif et technique qui nécessite d’ailleurs une formation. Produire une audiodescription de qualité ne demande pas que du talent, mais aussi des compétences spécifiques et des moyens. Ça a l’air facile, mais c’est justement fait pour avoir l’air facile. Ça ne l’est pas. Je compare souvent ça à la danse classique.
 
 
 
B. A. – Que dira la charte ?
L. M. – Le projet de cette nouvelle charte est donc d’élaborer un outil qui permette de juger de la qualité d’une description, mais ne doit surtout pas être « un mode d’emploi ». C’est complexe puisque nous sommes dans un domaine créatif et subjectif, mais nous ne partons pas de rien, il existe déjà des études sérieuses sur la méthodologie d’évaluation d’une traduction par exemple.
Nous pouvons déjà nous inspirer de la charte des bons usages des auteurs de Doublage/Sous-Titrage du Snac. Pour qu’il y ait qualité du produit fini, il faut que les personnes qui le fabriquent disposent des conditions pour le faire. Il est également indispensable que les auteurs soient considérés comme tels par les sociétés de gestion, et touchent des droits d’auteur sur leur travail. C’est un préalable.
H. Ch. – L’audiodescription crée un nouveau public. Il s’agit de prélever des droits en plus, et non de prendre une part des droits d’auteur déjà partagés entre les auteurs.
L. M. – Ensuite, sur la manière de juger de la qualité d’un texte, une vérification doit avoir lieu. Notre travail d’auteur se veut fidèle à une œuvre. Cette fidélité peut être estimée par quelqu’un de compétent, selon des principes que nous pouvons poser. Un premier élément central serait de définir ce que c’est que regarder un film. Quel est notre objectif fondamental ? Pour moi, regarder un film c’est avant tout vivre une expérience et être plongé dans un univers. La personne déficiente visuelle perd cette possibilité. Un des premiers critères serait : est-ce que ma description permet à cette personne de se replonger dans cet univers et de vivre cette expérience ?
Pour arriver à cet objectif, il faut recréer la bande image aussi fidèlement que possible grâce au texte de description et l’incorporer dans la bande-son en suivant la même temporalité que le film.
H. Ch. – Nous cherchons en permanence le juste équilibre entre le respect de la bande-son et celui de l’image du film.
L. M. – Si nous décrivons tout ce qu’il y a sur l’image, nous allons déborder sur la bande-son, et la saboter. Si nous respectons la bande-son dans son intégralité, nous allons dire trois mots d’une image extrêmement riche et saboter l’image.
H. Ch. – Notre critère est de permettre de vivre l’expérience cinématographique.
L. M. – Chaque auteur a sa marge de création au sein de cette exigence.
H. Ch. – Notre description doit être discrète, ce qui n’a rien à voir avec une neutralité de ton : il ne faut surtout pas être gris. Être discret est une façon de s’intégrer au film. Être humble, ne pas essayer de faire sa vedette. La description ne doit pas prendre le pas sur le film.
L. M. – Que la description se fonde dans le film, ne soit pas collée par-dessus, ne vienne pas masquer ou écraser le film. Ou expliquer le film. C’est à la fois de l’humilité et une grande ambition.
H. Ch. – Si je trouve une belle phrase, mais qu’elle mord sur la respiration émue de la comédienne et sur le début de la musique, j’ai envie de la mettre ma phrase, parce que je l’ai cherchée pendant trois heures et vraiment elle marche bien, eh bien je ne vais pas la mettre, parce que ce n’est pas une vitrine pour mes jolies phrases quand j’arrive à en faire.
L. M. – Au respect de la bande-son et de l’image, nous devons ajouter celui de la temporalité. Un film est une expérience qui se déroule dans un temps précis ; chaque événement se passe « ici et maintenant », pas avant ni après. Il faut que la description vous fasse vivre la même chose, au même moment, que l’image.
Nous devons jongler entre tous ces éléments, respect de la bande-son et de l’image, sobriété et complexité, subjectivité et fidélité, temporalité, parce qu’ils peuvent être contradictoires. Nous cherchons le juste milieu.
H. Ch. – Quand nous regardons un film, nous intégrons une quantité d’informations. Nous devons faciliter l’assimilation du supplément d’informations que nous apportons au cerveau de notre spectateur. Sa compréhension doit être instantanée, sinon il perd un fragment.
L. M. – À nous de faire passer des choses complexes, par exemple des expressions contradictoires sur un visage, de manière évidente. Notre texte est seulement entendu, et une seule fois, le sens doit en être limpide.
H. Ch. – Si l’on doit réfléchir à la phrase de la description, on perd le début du dialogue qui suit. Nous devons nous garder également de simplifier, le spectateur n’est pas un idiot. Expliquer l’action ou les sentiments, les émotions, est un autre écueil. Nous ne sommes pas censés écrire : « Elle se met à pleurer, blessée par les propos de Pierre. » La question de la pudeur se pose aussi : « Ils font l’amour » peut ne pas suffire à décrire une belle scène d’amour. A contrario, ce qui est deviné dans le film n’a pas forcément à être montré par la description.
L. M. – Que montre ou ne montre pas, que suggère ou ne suggère pas l’image, un bon texte respecte cette dynamique. Toute vision est une interprétation de l’image. Il faut que notre interprétation soit juste.
H. Ch. – Ensuite entrent en jeu la qualité du mixage, le choix de la voix, du ton. Si l’audiodescription est lue sur un ton neutre de robot, on n’entend qu’elle.
L. M. – Ce qui est sobre n’a pas à être neutre. La voix doit être discrète, mais engagée dans le film.
H. Ch. – Si on ne peut pas compter sur la voix pour faire passer une émotion, on est obligé d’augmenter le texte.
L. M. – Il serait dommage de se priver de l’infinité des nuances que peut rendre la voix. J’ai été comédien avant d’être auteur et j’enregistre moi-même mon travail. La rapidité de l’enregistrement pose problème. Trop souvent le comédien découvre le film en même temps qu’il interprète le texte, comment pourrait-il exprimer les subtilités d’une histoire qu’il ne connaît pas ?
H. Ch. – Nos conditions de travail varient selon le commanditaire. Le producteur ou le distributeur ont des souhaits et des ambitions pour leur film, ils nous donneront de meilleurs moyens, des éléments de bonne qualité sur lesquels travailler. Pour empêcher que le film soit piraté, les images qui nous sont données sont parfois tellement dégradées qu’on ne voit pas ce qu’on est en train de décrire.
L. M. – L’image peut être floue au point que parfois on ne reconnaît pas les personnages, ni les objets qu’ils tiennent !
H. Ch. – L’octroi des aides du CNC destinées à soutenir l’accessibilité du film pourrait être soumis à une évaluation de la qualité. Nous lisons l’ensemble de notre travail à une personne déficiente visuelle, audiodescriptrice professionnelle, sur le son du film. Une telle vérification du texte avant son enregistrement est nécessaire.
L. M. – Ce contrôle de la qualité par le CNC devrait être fait par des personnes qui soient formées, compétentes, qui aient réfléchi à l’enjeu.
H. Ch. – Notre métier demande énormément de polyvalence. Nous synchronisons l’image, le son, notre voix. C’est une expérience globale.
Nous tenons à ce que la charte soit le fruit d’un consensus entre les auteurs. Son écriture est longue et complexe.
L. M. – Une fois que les auteurs se seront mis d’accord, nous proposerons cette charte aux producteurs et aux diffuseurs. Ce sera une deuxième étape. Si notre texte est cohérent, réaliste et utilisable par le CSA, il s’imposera à tous. Malheureusement, le CSA ne consacre que peu de moyens à ce travail qui est entièrement bénévole pour nous auteurs.

Cet entretien est paru dans le Bulletin des auteurs n° 135, en octobre 2018.

Crédits photos :
Héloïse Chouraki, photo de Stéphane Jacob
Laurent Mantel, photo d’Emmanuel Valette

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