LE DROIT D’AUTEUR EST-IL EN PÉRIL ?
par Régis Écosse, membre du groupement Doublage / Sous-Titrage

Historique :

Avec les usages internet, le piratage des biens culturels s’est développé massivement.

Dans le même temps, des plateformes musicales sont apparues, proposant des offres légales d’accès à la musique grâce à des formules par abonnements.

Malgré la faiblesse des montants de ces abonnements, les professionnels ont accueilli ces nouveaux acteurs, pleins d’espoirs, et les ont laissé prospérer, la formule semblant gagnante dans un contexte de crise sans précédent de l’industrie musicale.

L’audiovisuel, en retard dans sa lutte contre le piratage, a fini par emboîter le pas des plateformes musicales, et des fournisseurs de VOD et de streaming sont apparus aux États-Unis, proposant des abonnements.

Il y a sept ans, Netflix arrive en France. Depuis, d’autres plateformes se sont introduites sur le marché : Amazon, Disney +, etc.

Avec elles apparaît une nouvelle pratique qui fait trembler tous les équilibres : alors qu’à leurs débuts, les plateformes ne proposaient que des programmes préalablement exploités au cinéma ou à la télévision, sur le modèle du vidéo-club, elles se sont mises à produire elles-mêmes des programmes et à les diffuser en exclusivité. Risquant de mettant en péril tout le système.

Jusque-là, ces productions étaient majoritairement étrangères et les effets de ce nouveau modèle économique sont bien connus des auteurs de doublage sous-titrage.

État des lieux :

Depuis sept ans, les auteurs de doublage sous-titrage constatent des montants dérisoires de rémunérations au titre des droits d’auteur en provenance de ces plateformes et ne cessent de s’en alarmer.

Il y a des raisons objectives à cette faiblesse de nos revenus :

– Le faible montant des abonnements, qui plus est par « foyer », pas par personne.

– Une « consommation » (puisque la culture est devenue une marchandise) éparpillée, chaque abonné ayant à sa disposition à l’instant T des milliers d’heures de programmes. En diffusion linéaire, les chaînes ne proposant à voir qu’un seul programme à la fois, le morcellement des droits globaux est moindre.

– Pour les séries, une rémunération qui diminue au fil de leurs diffusions, résultat du décrochage de nombreux « utilisateurs » au fil des épisodes (le calcul de la rémunération étant basé sur le nombre de streams par programme). Ce phénomène n’est pas visible dans le mode de calcul des droits de diffusion sur les chaînes.

Il n’empêche que, devant de tels niveaux de rémunération, c’est le principe même du droit d’auteur qui est ébranlé. En plein désarroi, les auteurs de doublage sous-titrage ont même déjà pensé à demander une revalorisation de leurs primes de commande, pour « compenser ». On se rapproche dangereusement du buy out (américain, où l’auteur renonce à ses droits contre une prime de commande plus importante). Il est urgent de réagir !

Lors de la crise de la Covid, les plateformes ont battu des records de fréquentation. Pourtant, les droits n’ont suivi cette augmentation qu’en partie. C’est l’effet pervers des formules par abonnements : l’augmentation du nombre d’abonnés fait monter la valeur du stream mais cette hausse est tempérée par la baisse de la valeur du stream qu’entraîne la surconsommation par abonné.

Le mode de calcul de nos rémunérations en provenance des plateformes semble pourtant d’une parfaite équité : basé sur le nombre de streams effectifs par œuvre et par trimestre, on est en droit d’attendre que nos rémunérations soient le strict reflet de la « consommation » réelle de nos œuvres.

Pourtant il n’en est rien car un élément fondamental vient perturber cette belle perspective : le piratage consenti.

Quand 10 personnes se présentent devant un cinéma, chacun paye sa place pour entrer.

Sur les plateformes, pour un abonnement payé, 10 personnes et plus ont accès au service, tant il est facile de distribuer ses codes d’accès à toute sa tribu. Dans un article récent, la part des « utilisateurs » de Netflix qui ne payent pas est estimée à 56 % (les plateformes elles-mêmes déplorent ce manque à gagner mais tardent à prendre les mesures pour le limiter).

C’est la cause première de la surconsommation par abonné, qui fait baisser la valeur du stream. C’est comme si un magasin de mode achetait des blousons à 50 % sous prétexte qu’il va les vendre en solde. Ce n’est pas possible. Les plateformes sont en droit de faire des cadeaux à leurs abonnés, à des fins promotionnelles. Mais pas avec nos revenus.

Il nous revient, à nous auteurs et compositeurs, de nous interroger sur ce système établi. À modèle économique nouveau, règles nouvelles. Des propositions sont à faire pour que, selon la règle d’or du droit d’auteur, la valeur du stream corresponde à la « consommation » réelle de nos œuvres.

Nota bene : Le 17 septembre 2021 a été signé un accord entre les producteurs, les scénaristes et les réalisateurs pour protéger le droit d’auteur à la française face aux plateformes. Attendons d’en savoir plus pour poursuivre notre réflexion.

Photographie : Régis Écosse – Crédit : Régis Écosse.

Cette Tribune libre est parue dans le Bulletin des Auteurs n° 147 (novembre 2021).

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