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« La protection sociale des artistes est un acte de civilisation » aimait à rappeler Jacques Duhamel, ministre des affaires culturelles, lors de la création d’un organisme chargé de la gestion de la sécurité sociale des artistes-auteurs en 1978. Dans le prolongement de Jean Zay et d’André Malraux, il plaida pour leur ouvrir ce droit, en expliquant que le rayonnement culturel d’une nation dépend de la sécurité qu’elle procure à ses créateurs.
Alors que l’on s’apprête à célébrer les 50 ans de la création d’un régime de protection sociale pour les artistes-auteurs – qui furent les derniers en France à bénéficier des avancées obtenues par les salariés au sortir de la seconde Guerre Mondiale – ce sujet fait un retour en force dans l’arène médiatique et politique à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociales (PLFSS) par le Parlement. L’article 5 du PLFSS prévoit une importante réforme de la Sécurité sociale des artistes-auteurs (SSAA) – l’organisme chargé depuis 2022 de la gestion de leur protection sociale – et suscite étonnement de vives querelles qui renvoient l’image regrettable d’une communauté des artistes-auteurs divisée.
Les déboires passés de l’Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (Agessa) – qui fut chargée entre 1978 et 2019 de la mission de recouvrement des cotisations sociales des artistes-auteurs – ne sont évidemment pas étrangers à ce déferlement de violence verbale. Les critiques relatives à la gestion défaillante de feu l’Agessa pointées par un récent rapport de la Cour des Comptes, dans laquelle les tutelles administratives (ministères des affaires sociales et de la Culture) portent une responsabilité, sont légitimes. Mais dans ce flot de palabres et controverses qui brouille le débat autant que les esprits de beaucoup d’artistes-auteurs, il est indispensable et salutaire de rappeler quelques éléments factuels.
D’abord, on s’étonnera d’entendre aujourd’hui certaines organisations professionnelles d’artistes-auteurs dénoncer à grands cris le « scandale de l’Agessa », en omettant de rappeler leur responsabilité dans ce scandale. En 2013, alors que le conseil d’administration de l’Agessa avait décidé de mettre en œuvre le recouvrement par précompte de la cotisation vieillesse auprès de l’ensemble des artistes-auteurs, le Comité des Artistes Auteurs Professionnels (CAAP), le Syndicat national des artistes plasticiens-CGT (Snap-CGT), le Syndicat national des sculpteurs et des plasticiens (SNSP) et l’Union nationales des peintres et illustrateurs (UNPI) écrivaient à la ministre de la Culture Aurélie Filipetti pour dénoncer cette décision et l’enjoindre de suspendre sa mise en œuvre : « Le conseil d’administration de l’AGESSA ont voté [sic] le 13 novembre 2013 le recouvrement par précompte de la cotisation vieillesse des assujettis. Cette décision constitue une violation de l’article R 382-27 du code de la sécurité sociale […]. C’est pourquoi par le présent recours de tutelle, nous vous mettons en demeure de suspendre formellement et dans les meilleurs délais cette décision illégale », écrivaient alors les mêmes organisations qui dénoncent aujourd’hui, sous le nom de « scandale de l’Agessa », les conséquences du non-recouvrement de cette cotisation, recouvrement auquel elles se sont elles-mêmes farouchement opposées, bien qu’elles semblent aujourd’hui l’avoir oublié…
Ensuite, il convient de rappeler que la Sécurité sociale des artistes auteurs (SSAA), fondée en 2022, ne porte pas la responsabilité des défaillances passées de l’ex-Agessa. Bien au contraire ! Conscient des nombreux et graves errements commis dans le passé par cet organisme, et dans une démarche visant précisément à ne pas les répéter, le conseil d’administration de la SSAA a adopté à la majorité, en décembre 2024, un plan de transformation ambitieux. Ce projet de réforme vise à mettre la SSAA au service des artistes-auteurs en lui conférant un rôle consultatif et de propositions sur toute évolution législative ou réglementaire concernant leur protection sociale, ainsi qu’un rôle d’évaluation de la qualité de service des caisses ou administrations dont ils dépendent (CNAV, CPAM, CAF…). Il vise également à offrir aux artistes-auteurs un accompagnement individuel afin d’améliorer l’accès à leurs droits sociaux (ex. retraite, congés maternité, arrêts maladie…), notamment par la création d’un médiateur dédié. Il prévoit par ailleurs de renforcer les moyens et d’élargir les champs d’intervention de l’action sociale de la SSAA (ex. aides d’urgence, aides dans le cadre du congé maternité…).
Ce travail de reconstruction, initié par une majorité d’organisations membres du Conseil d’administration de la SSAA, a impulsé une dynamique que certains voudraient à nouveau briser en militant pour l’abrogation de l’article 5 du PLFSS et la liquidation de la SSAA !
Nous, organisations professionnelles qui défendons de manière constante et responsable les intérêts des artistes-auteurs, en appelons aujourd’hui à la sagesse et à l’esprit de responsabilité des parlementaires pour soutenir fermement cette réforme indispensable et bénéfique pour l’ensemble des artistes-auteurs, en adoptant l’article 5 du PLFSS. Il en va de l’avenir de la protection sociale des artistes-auteurs et donc du rayonnement de leur travail de création.
> Consulter la Tribune parue dans le journal Libération le 19/11/2025