Robert Desnos, qui avait imaginé de mettre en scène le rêve à la radio, avait bien senti que les ondes pouvaient permettre de passer toutes les frontières. Quoi de plus indiscipliné qu’un rêve, quoi de moins réduit à un seul espace, et quoi de moins tributaire d’un temps rationnel ?

Je ne veux pas dire par là que le documentaire radiophonique n’existe que sur le mode du rêve, mais il me semble bien que sa fabrique — son écriture — nous introduit dans des espaces illimités, c’est une histoire avec le temps qui vient scander toutes les étapes de son écriture.

 

Le temps de la pensée d’abord, penser son sujet, laisser errer la rêverie dans ce qui sera le corps du récit que l’on se propose de mener. Lire une page et en prendre une autre, apprendre à comprendre ce sujet que l’on va apprivoiser. Le temps d’imaginer où se déroulera cette histoire nouvelle dont on s’empare avec les micros qui capteront des voix, des récits, des analyses, des musiques, des sons, des murmures ou des souffles, le temps de chercher à la mettre en scène dans un lieu qui sera présent par sa personnalité sonore, de rechercher les interlocuteurs qui aimeront parler de leur sujet portés par un climat, de les emmener au besoin hors du studio, là où résonne ce souffle particulier. Le temps de ces choix premiers, de ces intuitions premières qu’il faudra ensuite faire exister, mener à bien.

 

Car rien n’est terminé. Tout ne fait que commencer.

Les paroles, les sons recueillis, entrent alors dans le temps de l’élaboration, dans celui de la narration, de la trame qu’on imagine, quand on décide d’un incipit, quand doucement, ou âprement, ou douloureusement, se déroule alors le corps du récit qui petit à petit nous porte, quand on écrit sur cette plage blanche — muette — qui devient sonore. Il faut maîtriser la matière ; mais parfois on se rend compte que l’on peut se laisser guider par elle ; elle vous mène dans des développements qu’on n’aurait pas imaginés, et qui viennent avec bonheur raconter précisément l’histoire que l’on cherche à raconter. Elle devient la complice de vos intentions cachées — ce qui n’est pas tout à fait un hasard. Et en rythmant cette matière on fabrique une temporalité.

 

La production du temps radiophonique est la naissance des images.

Le temps c’est l’espace du documentaire radiophonique, qui a commencé par le temps de l’écoute. Pierre Schaeffer disait : « Le véritable auteur radiophonique se garde d’écrire : il entend, et donne à entendre ». Je dirais, moi, qu’avec ce qu’il a entendu et donné à entendre, l’auteur radiophonique a créé par son désir un véritable lieu radiophonique.

 

Et  dans ce lieu radiophonique je me sens bien. Car je suis aussi une auditrice de documentaires. J’aime le temps de l’écoute, le temps que l’on a créé pour que je m’immerge dans un récit fait du choc des éléments, pour que j’entre dans un film sonore où aucune clé ne m’est donnée à l’avance, mais où se déplient subtilement les souffles et les mots, qui tissent par leur écriture un objet sonore dont la personnalité sera toujours unique. Il n’y a pas de limite spatiale, pas de porte qui ferme la pensée, pas de mur qui arrête l’image. Ici, on est passe-muraille.

 

 

 

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