Bulletin des Auteurs– Quel est le parcours qui vous a amenée à avoir envie de venir au Snac ?

Maïa Bensimon– Je dis souvent en riant qu’étant une artiste ratée, mes études m’ont naturellement portée vers le droit d’auteur – à la place de devenir dessinatrice, j’ai fait du droit pour aider les auteurs. J’ai eu cette chance de pouvoir le pratiquer dès mes premières années d’exercice dans le cabinet d’avocats où je suis arrivée après avoir passé le Barreau. J’y suis restée dix ans, en concentrant le plus possible ma pratique sur le droit d’auteur, autant en contentieux qu’en conseil. Nous avions de beaux dossiers, comme disent les avocats, avec des auteurs, des labels et des éditeurs, dans le domaine des arts, de la musique et du livre. Je dois beaucoup à une conseillère en droit des auteurs et compositeurs, Élizabeth Cornaton, qui nous a quittés récemment. Elle a passé des heures à m’expliquer le circuit des droits et les clefs de répartition Sacem. C’était pour moi, à 25 ans, à s’arracher les cheveux, mais j’adorais ces moments. Je profite de votre question pour lui rendre hommage. C’est pendant ces années que La Martinière a assigné Google pour son site « Google Livres ». J’ai alors eu la chance de pouvoir représenter les intérêts de la Société des Gens de Lettres. Nous avons œuvré aux côtés des éditeurs et du Syndicat National de l’Édition à l’époque pour empêcher que cette idée de la « culture gratuite pour tous » ne vienne abîmer le droit d’auteur. Nous avons gagné en 2009 mais hélas, cette idée était déjà présente partout, dans la musique et le cinéma, avec le piratage, et elle est devenue la diatribe de tous ceux qui pensent qu’il faut opposer accès à la culture et droit d’auteur. Au cours de mes dernières années au cabinet, j’avais de plus de plus d’auteurs de livres ou des musiciens (auteurs et compositeurs de musique actuelle surtout) qui venaient me voir, sans avoir les moyens financiers nécessaires. Quand le poste de responsable juridique à la SGDL s’est libéré et qu’on me l’a proposé, c’était un réel soulagement de consacrer mon temps – sans compter – à assister les auteurs. Pendant les huit ans passés à la SGDL, j’ai travaillé aux côtés d’Emmanuel de Rengervé sur les dossiers de fond traités par le Conseil Permanent des Écrivains (le CPE), notre fédération des auteurs de livres en France. Je connaissais le Snac du temps de mon cabinet, pour l’avoir rencontré dans des dossiers. J’ai appris beaucoup de choses grâce à Emmanuel. Je lui en suis très reconnaissante. C’est au cours de ces années que je suis retombée alors sur le débat de la « culture gratuite » au cours des débats sur la Directive droit d’auteur. Nous avons beaucoup travaillé tous ensemble du côté des titulaires de droits à faire adopter ce texte fondamental. Lorsque j’ai su qu’Emmanuel se préparait à partir, venir au Snac m’a paru être la continuité évidente de mon évolution au sein du secteur des organisations d’auteurs. Je ne me vois nulle part ailleurs qu’à leur service.

B. A. – Vous prenez ainsi le relais d’Emmanuel de Rengervé.

M. B. – Je vais pouvoir passer un trimestre en binôme avec Emmanuel de Rengervé et c’est très précieux ! J’en suis ravie. Il me faut ce temps d’observation afin de bien comprendre les enjeux et les pratiques de chaque secteur défendu par le Syndicat. Je suis notamment heureuse de me replonger dans l’actualité du monde de la Musique et de me mettre à jour des problématiques des autres groupements. Pouvoir le faire avec Emmanuel qui a vu les secteurs culturels évoluer depuis plus de trente ans, c’est une chance. En complément, je souhaite également rapidement rencontrer les auteurs, autrices, compositeurs et compositrices de chaque groupement du Snac pour les entendre sur leurs expériences et leurs besoins. Après quelques jours, je vois bien que le Syndicat a une activité très riche ! La BD, le théâtre, les albums jeunesse, la commande de musique à l’image, les auteurs de sous-titres et de doublages, etc. J’ai hâte d’échanger et de conseiller les auteurs de tous ces secteurs différents. J’aurai aussi besoin d’Emmanuel pour m’imprégner du Snac : son histoire, ses missions, etc.

J’espère me mettre dans la continuité de son travail mais ne pourrai jamais vraiment le remplacer, ce sera autre chose, forcément.

B. A. – Quelles sont les perspectives de votre nouvelle responsabilité ?

M. B.– Il faut permettre au Snac d’accompagner les auteurs dans ce siècle qui nous bouleverse, tant par la rapidité de la circulation de l’information que par le niveau d’exigence du public d’accès à la culture et et par les développements technologiques tels que l’intelligence artificielle que je préfère appeler personnellement l’Informatique Avancée (IA) !

Peut-être encore plus aujourd’hui qu’auparavant (et ce n’est même pas sûr), il faut que le droit d’auteur et la nécessité de le respecter soient compris à l’extérieur du monde de la culture, par les pouvoirs publics bien sûr mais aussi par les consommateurs et les acteurs des nouvelles technologies. Il faut arrêter d’opposer en permanence le droit d’auteur à tout un tas d’autres « droits » ou « libertés » ou « avancées technologiques ». La démocratie ne peut se passer du droit d’auteur qui permet de rémunérer les auteurs – qui dit rémunération, dit des auteurs qui peuvent se vouer à leurs arts et à leurs œuvres et atteindre un niveau de qualité telle que cela participe à la culture et à la construction saine de la société dans laquelle on vit. Les auteurs sont la base de la culture, il faut la rendre solide. J’aime beaucoup mon précieux triptyque « ART » à cet égard, pour les auteurs, très simple à suivre finalement ! Autorisation, Rémunération, Transparence : ce n’est pas si compliqué, n’est-ce pas [rires] ?

Alors c’est sûr que lorsqu’on parle du code de la propriété intellectuelle ou du code de la sécurité sociale ou encore du code général des impôts, ça donne mal à la tête à tout le monde ! Mais il faut mener le combat de la compréhension de ce droit et de la simplification de son application pour tout le monde, tout en gardant des règles qui permettent de conserver une diversité d’usages : il y a autant de métiers chez les auteurs qu’il y a de cas pratiques en droit social ou fiscal ; il faut arriver à faire avec.

Les auteurs ne doivent pas être enfermés dans un statut administratif unique qui peut être un obstacle à la création. Le système doit être souple, juste, équitable, et applicable à tous.

J’espère donc accomplir mes missions dans cette optique et permettre au Syndicat de se développer dans toutes les branches où les auteurs en auront besoin.

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Cet entretien a été publié dans le Bulletin des Auteurs n° 155.

Photographie de Maïs Bensimon. Crédit : Nathalie Orloff.

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